Génération Mp3
Chapitre 1 – Le grand retour de la Musique !
En janvier 2000, dans un désir de remonter le moral d’une jeune chanteuse, je m’efforçais de la convaincre qu’il ne fallait pas désespérer. Il suffisait d’arpenter les allées de la Fnac ou du Megastore pour constater qu’il apparaissait toujours autant de nouveaux artistes . Tel était du moins mon sentiment.
Depuis plus d’un an, le CD de cette chanteuse circulait d’une maison de disque à une autre. Son producteur , un vieux routier ayant aligné de nombreux hits et géré la carrière de pointures reconnues voyait son moral tanguer.
A l’en croire, les directeurs artistiques à l’ancienne , ceux qui avaient pu signer des Cabrel et des Barbara sur un coup de coeur , ces princes magnanimes avaient disparu, cédant la place à une jeune génération nourrie aux études marketing et pour laquelle la sensibilité artistique n’était nullement une condition d’embauche. Celle -ci faisait la pluie et le beau temps.
Une idée brillante avait alors surgi. « Allons consulter les ventes de disque sur le site du Top 50 , tu verras par toi-même… ».
Catastrophe… La découverte des chiffres de ce Web allait fracasser mon argumentaire, le pulvériser en miettes. J’ avais beau chercher une note d’espoir, la réalité des faits me sautait aux yeux. Qui trouvait-on en tête des ventes d’ album ? Bruel , Hallyday, Alain Souchon, George Michael, Francis Cabrel , Phil Collins , Sting … La plupart étaient des artistes présents sur le marché depuis une quinzaine d’années ou plus. Mon oeil cherchait désespérément les nouveaux venus et je ne pouvais en trouver qu’à dose homéopathique : deux groupes du nom 113 ou Eiffel 65 étaient inscrits dans la liste , mais ils se retrouvaient loin , très loin des sommets. Force était de reconnaître ce que les faits des charts attestaient : faute de faire éclore suffisamment de nouveaux talents, les majors recyclaient inlassablement les stars établies.
J’avais alors repensé à un fait qui cinq ans plus tôt m’avait troublé. Une revue musicale pour professionnels y indiquait qu’en 1995, la meilleure vente de disques avait été réalisée par… les Beatles . J’ai toujours adoré ce groupe et en soi, le fait apparaissait remarquable. Mais tout de même, John, Paul, Georges et Ringo s’étaient séparés 25 ans plus tôt !… Qu’avait-on ressorti des fonds de tiroir pour pousser des millions de gens à mettre la main au porte-monnaie ? Des bandes d’une étonnante médiocrité d’un concert live donné par le groupe à la BBC en 1965 et dans lesquelles, il leur arrivait de jouer faux. Des enregistrements inachevés pour une raison ou une autre (Lennon éclate de rire au milieu d’une phrase, Ringo rate le démarrage…) avaient été publiés sous la dénomination honteuse de duperie : Anthologie.
Si nous nous en tenons à la définition du dictionnaire , l’anthologie est un « recueil de morceaux choisis d’oeuvres littéraires ou musicales ». Toute la nuance réside dans le terme choisi qui pour sa part est défini ainsi : « 1. De première qualité . 2. Distingué. » Toute la mauvaise foi du monde n’aurait donc pu justifier la sortie des trois double-CD intitulés Anthologie et qui n’avait abouti qu’à une chose : briser un peu du mythe de perfection que les Fab Four avaient réussi à imposer en quelques albums légendaires.
Evidemment, EMI aurait eu tort de se priver d’une telle affaire : selon le Detroit News du 2 octobre 1996, les deux premiers volumes Anthology s’étaient déjà vendus au total à 13 millions d’exemplaires.
L’industrie qui avait pu autoriser une telle forfaiture n’en était pas à un coup d’ essai. L’ apparition du CD avait depuis plusieurs années donné le signal d’une tendance : rééditions et compils en tous genre. Quand bien même certains de ces albums avaient été rentabilisés au- delà de l’imaginable en leur temps, les CD étaient vendus au prix fort , aux alentours de 140 francs, sans gêne aucune. Au milieu des années 90, dans les classements des grandes enseignes de vente de disque , on pouvait couramment voir la compil de Joe Cocker détrôner celle de Police qui eux-mêmes chassait de la première position le best of de Queen… Exploitant le potentiel de la nostalgie et le renouvellement du parc de lecteur de disques , le CD avait permis de fourguer par milliers les oeuvres du catalogue.
Quelques petits malins avaient même eu une brillante idée : l’on pouvait aller plus loin dans l’ exploitation d’un tel filon et parvenir à vendre des bandes de travail , des morceaux que certains musiciens n’auraient peut-être jamais autorisés de leur vivant ou du moins à l’époque de leur création.
On avait ainsi vu apparaître une pléthore d’enregistrements inédits ou « remastérisés » de Jimmy Hendrix , des fonds de tiroir de Bob Dylan – dont une pièce qu’aucun collectionneur ne devrait manquer, dans laquelle le barde est saisi d’une quinte de toux au milieu d’un morceau – et autres stars des décennies précédentes. Outre la fameuse « anthologie » des Beatles, l’une des pièces remarquables avait été un quadruple CD autour du seul album Pet Sounds des Beach Boys, la plupart des morceaux étant proposés à diverses phases de leur enregistrement.
Si l’on y réfléchit bien, peu d’ industries ont osé traiter les consommateurs avec un tel dédain. Aucun constructeur automobile n’a osé nous vendre des prototypes n’ayant pas abouti au prix des modèles neufs. Aucun cinéaste n’a songé à diffuser en salle les chutes de ses oeuvres, avant le passage à la table de montage. Aucune entreprise de bâtiment n’imaginerait un instant de vendre des semi- appartements dépourvus de sanitaire ou munis d’une installation électrique hasardeuse.
Or , non seulement certaines majors nous ont proposé ces sous-disques au prix fort, mais elles les ont également vendu deux fois plus cher qu’au temps du vinyle !
Ce fait est ahurissant et pourtant, la plupart d’entre nous l’ont oublié. Ce n’est que récemment qu’il m’a sauté à la figure. Ayant retrouvé l’usage d’une platine vinyle , j’avais ressorti l’un de mes disques fétiches, New Chautauqua de Pat Metheny, paru en 1979. Entre deux espagnolades de ce guitariste prodige, mon regard est soudain tombé sur le prix de cet album acheté vers 1981 pour 52 francs ! Si je voulais racheter aujourd’hui le CD correspondant , Alapage me demanderait 134 francs, la Fnac en voudrait 142 francs… Que s’est-il passé pour qu’un même disque voie son tarif presque tripler en changeant de support ?
Je connais un groupe musical qui a récemment produit mille exemplaires de son propre CD, avec une pochette très arty. Le coût de duplication de ce bel album leur a été facturé 15 francs l’ exemplaire . On peut décemment supposer que les maisons de disque obtiennent des prix beaucoup plus faibles sur les grosses quantités atteignant moins de 5 francs sur des artistes de grande diffusion à la Bowie.
D’où la question : pourquoi un support aussi peu coûteux a-t-il pu être vendu avec une marge aussi forte alors que le coût de duplication était beaucoup moins élevé que celui des albums vinyle ?
Certains pourraient prétendre que l’inflation est la grande coupable. Mais jetez un coup d’oeil dans votre bibliothèque et comparez l’évolution du prix des livres grands formats . Vous constaterez qu’il se situait autour de 95 francs vers 1980 et qu’il a évolué vers les 135 francs. Il a donc certes augmenté, mais dans une proportion plus raisonnable , avec un atout : le livre de poche permet de vendre aux alentours de 30 francs ou moins les oeuvres que l’on recycle.
Certes le SNEP brandit son interprétation : selon ce syndicat, depuis 1970, l’industrie musicale a su modérer l’ augmentation des prix; alors que les prix de détail ont été multipliées par 5, celui du disque aurait tout juste doublé . Cet argument ne tient pas la route : Le CD est un support numérique, à l’instar des logiciels . Or, tout ce qui relève du numérique a vu son prix s’effondrer au cours des dix années passées. En 1988, un logiciel de gestion de base de données tel que dBase, alors le plus populaire au monde, était vendu aux alentours de 7.000 francs. De nos jours File Maker Pro est proposé par son éditeur pour 2.000 francs environ. Microsoft , qui n’est pas connu pour brader ses produits, propose pour moins de 1.000 F un ensemble comprenant un traitement de texte , un atlas, un logiciel de retouche photo , une gestion des finances personnelles… Il y a encore cinq ans, l’ensemble aurait été vendu au moins deux fois plus cher ! Toute la chaîne numérique a été touchée par l’effondrement des prix : ordinateurs, appareils de photo numérique , synthétiseurs, tables de mixage…
Le CD n’a aucunement vu son prix moyen baisser alors que, en tant que produit numérique, son prix de revient n’a cessé de chuter. Pourrait-on croire que les cinq groupes qui contrôle l’industrie du disque (BMG, EMI, Universal , Sony Music et Time -Warner) aient passé une sorte d’entente tacite pour maintenir les profits au plus haut ? Il existe en fait d’autres raisons, dévoilées plus loin.
Ce qui ressort , c’est que l’industrie de la musique a vécu une décennie dorée, faite en partie d’un argent facile tiré de l’exploitation d’un catalogue ancien , d’artistes dont les frais de lancement avaient été depuis belle lurette rentabilisés.
Si tous les dollars engrangés par les fonds de tiroir avaient servi à signer de jeunes talents, l’oeuvre aurait d’ailleurs été utile. Pourtant, bien au contraire, le tiroir caisse des compils semble avoir barré la route à de nombreux musiciens authentiques qui ont eu toutes les peines du monde à obtenir un contrat durable. Et même ceux qui ont réussi à se faire une petite place au soleil sont souvent peu tendres envers ce système.
Si quelqu’un entretient une tendresse envers l’establishment musical, rappelons quelques faits.
L’histoire des Spice Girls est révélatrice du type de coutume qui a pu se développer dans un univers qui a oublié l’art pour privilégier la science du marketing. Les cinq membres du groupe le plus populaire au monde en 1997 furent recrutées par annonce, dans un magazine professionnel, The Stage. Le manager Robert Herbert avait déterminé le profil de chacune des participantes en découpant les photos de dizaines de magazines pour les 12-18 ans. Chaque Spice Girl correspondait ainsi à une sorte de portrait-robot de star rêvée par cette population. Belles et sexy mais pas trop pour ne pas décourager leurs admiratrices potentielles, conformes à divers canons en vigueur, du sport à la mode.
Une fois repérées en mars 1994, les gamines allaient suivre un entraînement intensif, tandis que des compositeurs triés sur le volet écrivaient des tubes sur mesure. L’opération allait réussir au-delà de tous les espoirs, avec 20 millions d’albums écoulés en une année au faîte de leur gloire.
Que penser d’une telle approche sinon qu’elle symbolise la quintessence d’une industrie en dérive, prête à tout pour engranger de l’argent ? Pour sûr, des créateurs authentiques à la Prince ou Neil Young auraient eu du mal à se faire un nom au cours de cette décennie là.
S’agissait-il d’une exception ? Véronique Mortaigne, la spécialiste musicale du Monde affirme le contraire : « Presque tous les boys bands des années 90 ont été bâtis en suivant cette recette ! »
L’incroyable tromperie qui a engendré les Milli Vanilli était un signe avant-coureur du développement de telles pratiques. Frank Farian avait déniché ces deux beaux modèles au look de rasta et les avaient embauchés pour faire du play-back sur la vidéo de Girl you know it’s true. En 1989, le disque s’était vendu à 10 millions d’exemplaires, ce qui leur avait valu un Grammy Award dans la catégorie des nouveaux artistes.
Pourtant, très vite, une terrible rumeur s’était mise à circuler. Les deux éphèbes, Fabrice Morvan et Robert Pilatus ne chantaient pas sur le disque . Harcelé de questions sur le sujet, Pilatus la candeur avait joué les outragés, affirmant que la rumeur avait été lancée par un chanteur de studio aigri afin d’aider sa propre carrière : « Si ce n’était pas nous qui chantions, qui était dans le studio ? ».
Coup de théâtre, en novembre 1990, les deux beaux gosses aux dreadlocks pendouillants avaient craqué devant trop de honte et tout avoué. Farian les avait payé pour apparaître sur les clips d’une entité virtuelle nommée Milli Vanilli, sachant que le chant serait assuré par trois chanteurs professionnels de studio. « Nous espérons que nos fans comprendront que nous étions jeunes, nous voulions vivre à l’américaine » avait alors plaidé Pilatus. L’album qui allait suivre comportait les véritables voix des deux garçons, mais il fit un flop. On ne trompe pas impunément le public.
Personnellement, à l’exception de quelques incontournables, j’ai toujours aimé des musiques insolites, de celles qui ne trouvent point droit de cité sur les radios formatées pour cette curiosité sociologique : le plus grand nombre. La plupart du temps, c’est donc la baguette d’une Dame nommé « au petit bonheur la chance » qui m’a guidée vers mes albums favoris. C’est de façon inopinée que j’ai saisi les écouteurs d’une borne du Megastore pour découvrir deux de mes disques préférés de tous les temps, enregistrés par Andreas Vollenweider et Enya, artistes ignorés des principaux canaux de diffusion mais dont les oeuvres se sont répandues par la grâce du bouche à oreille. A d’autres moment, c’est un disquaire ayant survécu au rouleau compresseur des grands points de vente ou bien un voisin de table qui m’a aiguillé sur une perle de la discographie de Tuck Andress ou de Loreena McKennit. Quant à l’album que j’ai le plus écouté, Hawaii de High Llamas, j’ai eu la chance de l’entendre aux alentours d’une heure du matin sur une émission de George Lang sur RTL, un des rares programmateurs ayant longtemps conservé une totale liberté.
Le fait est valable pour la plupart des gens. Les albums qu’ils vénèrent sont le plus souvent des pièces rares. Des plaisirs personnels. Pourtant, ce n’est pas bien étonnant.
La musique parle à l’âme. Lorsqu’une mélodie nous touche personnellement, aucune promotion, aucune campagne de publicité n’entre en ligne. Quelque part, à un autre bout de la planète, un artiste a émis une émotion, une onde, un instantané de rêve… C’est ce message qui vient faire résonner une facette de notre univers personnel. Au-delà du temps et de l’espace, un contact s’établit, une irrésistible connivence qui a le don de saupoudrer l’existence d’un doux parfum.
La chanson n’est pas un produit comparable aux aspirateurs, pâte dentifrice et débouche-évier – avec tout le respect qui est dû pour les fabricants de ces articles. La musique, même si elle cohabite avec eux dans les rayonnages des supermarchés, est d’un autre ordre. C’est une force, de l’énergie pure, un stimulant plus puissant que toutes les pilules.
J’ai souvent pensé qu’il était injuste que j’aie pu découvrir un disque tel que Hawaii par hasard. Mathématiquement, cela signifie que des dizaines d’albums que j’aurais adorés n’ont jamais eu la chance d’être entendus. Des dizaines de mélopées qui auraient engendré leur lot de pâmoison ou de vitalité, des centaines de dialogues privilégiés. Un inestimable gâchis.
Les maisons de disque sont entrées, qu’elles le veuillent ou non, dans une spirale infernale de standardisation qui a réduit la création à des cases délimitées et appauvri la production à des « genres ». Et comme les radios soi-disant libres, loin de jouer le rôle qui leur incombait, ont souvent calqué leur mission sur celles des radios généralistes, nous en sommes arrivés à une situation intolérable dans laquelle un nombre limité d’artistes parviennent à se faire entendre.
A en croire de nombreux professionnels de la musique, sur NRJ ou Fun, aux heures de grande écoute s’impose un premier diktat, celui des 3 minutes. Cela signifie qu’une oeuvre telle que Hey Jude des Beatles (7 minutes, et oui…) aurait du mal à passer aujourd’hui à l’heure des sorties de lycée. Même Billy Jean de Michael Jackson, le succès ultime des années 80 aurait été refoulé du fait de sa durée excessive proche des cinq minutes. A cette aulne, même Stairway to Heaven, pourtant votée chanson du siècle sur le site des auditeurs de RTL, serait aujourd’hui interdite d’antenne sur les radios jeune.
Conséquence de cette normalisation imposée, le nombre de nouveaux artistes d’envergure récemment apparus et qui parviennent à se faire un nom s’est fortement restreint.
L’industrie affirme qu’il n’en est rien et que l’on n’aurait jamais produit autant de nouveaux talents. Si l’on demande des détails, Pascal Nègre, qui préside Universal Music France, nous les donne. Une trentaine de disques de de nouveaux artistes auraient été publiés par sa maison en 1999, alors qu’il n’y en avait qu’une quinzaine en moyenne, dix ans plus tôt. Et d’affirmer que la tendance serait vraie pour le reste de l’industrie. Mais alors, où sont-ils passés, ces nouveaux venus ?
Les plus gros vendeurs de disque de la douce France sont présents sur le marché depuis une vingtaine d’années – Cabrel, Halliday, Souchon, Baschung… Ils méritent sans aucun doute une telle longévité. Mais peut-on réellement accepter l’idée qu’il n’y ait pas eu d’artistes du même calibre qui soient apparus depuis les vingt ou trente ans de gloire de ces derniers ?
Véronique Mortaigne, qui supervise la musique dans le quotidien Le Monde nous donne l’explication. Il y aurait toujours autant de nouvelles productions, mais les critères de choix se seraient tellement affadis que la plupart des disques s’étiolent avant même de pouvoir bourgeonner. Le plus dingue, c’est que l’on se trouve dans une situation de serpent qui se mord la queue.
Les directeurs artistiques, voulant séduire les deux ou trois radios jeune qui comptent, signent de préférence des produits « formatés » pour celles-ci et aboutissent à une floraison de disques insipides, taillés dans un vague moule à base de r’n’b et de dance, indifférenciables pour la plupart. Des disques si navrants qu’ils sont le plus souvent rejetés par ces mêmes radios qu’ils voudraient séduire. Une folle impasse. Nous y reviendrons avec plus de détail.
A-t-on réellement donné à de nouveaux Brel la chance de parvenir à maturité ? A-t-on laissé la chance à des artistes authentiques, animés avant tout par une soif de communiquer, de rencontrer un public ? Le succès immense de groupes tels que Noir Désir ou Louise Attaque autorise à penser du contraire. Ces artistes se sont forgés un public à la dure, à force de concerts et tournées dans les moindres recoins de France. Les radios étaient pour l’essentiel absentes de l’équation.
Là-dessus, débarque le MP3…
Des milliers d’artistes auxquels on avait fermé la porte trouvent soudain un débouché pour leurs oeuvres, sans avoir à faire le tour des maisons de disque et à affronter le cynisme de quelques diplômés de marketing ayant pour charge de trier les « produits susceptibles de trouver leur place en supermarché »
Le public, c’est à dire vous et moi adhère en masse à cette offre. Des centaines de milliers d’oeuvres sont téléchargées. MP3 est rapidement devenu le mot le plus souvent demandé sur les annuaires d’Internet.
Un canal de communication vital, celui qui relie les artistes aux êtres avait été oppressé. Il est rétabli et c’est un océan de créativité qui déferle soudain. Des milliers d’heure de musiques fabuleuses, des vocalises à susciter des larmes, des arrangements qui étourdissent l’âme, des textes que l’on pensait disparus…
Le MP3 est la meilleure chose qui pouvait arriver à l’industrie du disque. Le bouleversement ne fait que commencer et il est parti pour s’amplifier démesurément. Les géants de la musique payent les frais d’une politique de frilosité qu’ils n’osent avouer mais qui est criante.
Les artistes qui s’expriment par le biais des sites Mp3 ne bénéficient peut-être pas d’une production aussi léchée que Milli Vanilli ou les Spice Girls, mais ils ont une authenticité.
Si le format MP3 a pris les majors par surprise, c’est parce qu’il est parti de la base et s’est propagé spontanément de manière irrépressible. On comprend d’ailleurs la panique qui peut s’emparer de l’industrie mondiale du disque. Pour la première fois, il existe un système de contact direct entre ceux qui font la musique et ceux qui désirent la consommer. Les artistes, quels qu’ils soient, ne sont confrontés aux diktats, caprices et autres de quelques dizaines de décideurs.
Pour les grands de l’industrie du disque, habitués à des revenus aisés, la remise en question est profonde. Ils ne retrouveront jamais une situation dorée comme ils l’ont vécue car Internet va favoriser l’éclosion des indépendants, de styles différents, indépendamment du marché de masse.
S’il existe une fausse idée qu’il faut briser, pilonner, réduire en miettes, c’est celle que s’évertuent de brandir certains membres de l’establishment – pas seulement dans le monde musical – comme quoi un artiste n’aura jamais une visibilité si quelqu’un ne met pas d’argent sur la table et si l’on ne fait pas en sorte qu’il passe à la télévision.
Désolé, mais ce modèle va exploser. La nouvelle génération n’en voudra plus. Qu’est ce qui permet d’affirmer cela ? Deux choses.
En premier lieu, Internet a déjà commencé à créer de tels contre-exemples avec le succès du film Blair Witch, essentiellement promu sur ses forums. Sur le plan des entreprises, la part de marché prise par de nouveaux venus tels que Amazon ou eBay a montré qu’il était possible de se faire une place au soleil en dépit des positions acquises.
Le deuxième facteur, c’est une étude publiée par Forrester Research en février 2000, et selon laquelle il ressort que les jeunes auditeurs désertent les médias traditionnels pour accéder à de nouvelles formes de divertissement sur le Net.
La génération des 14 – 25 ans y est décrite comme fervente des nouvelles tendances musicales et achetant régulièrement ses disques sur le Web. Ils apprécient de pouvoir, grâce au Net, créer un environnement à leur image et choisir ce qu’ils consomment. Un leitmotiv : « Ils ne veulent plus d’une programmation qui tente de plaire à tout le monde. »
Autre tendance, ces nouveaux auditeurs aiment se retrouver dans des « communautés » où ils peuvent librement discuter et partager leur passion avec des fans d’artistes méconnus.
Forrester Research parle d’une nouvelle génération en émergence. L’étude juge qu’il étaient déjà plus de 12 millions au moment de la publication de l’étude et en augmentation constante.
Les sites de musique Mp3 (ou autre format musical) sont en mesure de répondre à leur attente là où les médias traditionnels (radios et télévision) ne pourraient les cibler.
Certes, les nantis du métier ont beau jeu de le faire remarquer : aucun artiste majeur n’est encore sorti du Net.
Mais comme vous le découvrirez dans ces pages, (surprise, surprise ! …) dès à présent, des artistes MP3 commencent à engranger des revenus honorables. Rien à voir avec Bruel, Madonna ou Laura Fabian. Mais comme disait un auteur de tubes, il faut laisser le temps au temps…
Evidemment, il reste de nombreux problèmes juridiques à régler car le MP3 est également utilisé pour copier des oeuvres de manière illicite alors qu’il est légitime que les auteurs et compositeurs continuent de percevoir leur dû. Mais que l’on ne s’y trompe point : la majorité des gens sont prêts à débourser leurs deniers pour acheter de la musique à ceux qui la créent.
MP3 permet une véritable démocratisation de la musique.
Dans un contexte où le public devient le juge, de nouvelles règles apparaissent. Mp3 est encore à ses balbutiements, mais tôt ou tard, il devrait faire émerger ses propres Alanis Morissette ou Fiona Apple. Et qu’est ce que cela va être bon !
Avec la généralisation des hauts débits et des appareils permettant d’accéder au Net, la musique du Web va devenir incontournable. Un nombre beaucoup plus important d’artistes va parvenir à se faire entendre.
La musique s’est réveillée. Elle a brisé ses carcans. Elle est désormais en contact direct avec ses soupirants. Il n’y aura plus de retour en arrière.
Nous sommes entrés dans l’ère du MP3 et ce 21ème siècle va crouler sous le soleil de millions de chansons, morceaux, mélodies, échantillonnages. Plus rien ne peut arrêter cette vague.
La musique appartient à ceux qui lui caressent le dos, la boivent des yeux, lui posent un lapin pour mieux lui faire porter des fleurs, l’emmènent en week-end dans leur décapotable pour la faire rouler sur le siège arrière, l’enrobent de guirlandes, la dévorent, lui passent la bague au doigt…
It’s a love story. – Musique !
Daniel Ichbiah © Éditions Mille et une nuits