Nice Jazz Festival 2009 : nuit magique
La soirée d’hier, mercredi 22 juillet, semblait courir le risque d’être écrasée par la stature du géant James Taylor. Il n’en fut rien. Au fur et à mesure qu’elle passait, elle nous a révélé des pépites jusqu’à nous offrir son trésor : une musique magique.
C’est la suédoise Lisa Ekdahl qui a ouvert le bal. Vêtue d’une robe orange, d’un chapeau assorti et de bas blancs, elle était entourée de ses trois musiciens multi-instrumentistes et choristes. Mathias aux guitares jouait aussi des percussions et de l’orgue, Andreas à la basse, des percussions et Thomas au piano jouait de l’orgue, des percussions, du xylophone et … du pianica! Présentant son nouvel album Give Me That Slow Knowing Smile, elle a aussi bien sûr chanté ses anciens titres comme le lumineux Daybreak ou des reprises devenues classiques comme My heart belongs to daddy ou It’s oh so quiet dans une version on ne peut être plus calme. Car même en passant d’un jazz bossa à des arrangements plus pop folk, Lisa Ekdhal garde cette douceur infinie. Donnant parfois l’aspect d’une poupée ou d’une petite fille, jouant de sa petite voix, elle semble nous faire entrer dans sa chambre où elle s’amuse avec ses amis. Sur Beautiful boy, par exemple, elle semble toute excitée de laisser le micro au guitariste et au bassiste. Et en permanence, elle garde un doux sourire mi-ravi mi-rêveur. Le même sourire qu’elle laissera aux spectateurs en quittant la scène. J’ai rencontré la charmante Lisa : l’interview pour Zik’n’Blog est à suivre.
Juste après, le jazz classique reprenait tous ses droits avec deux maîtres de 70 ans. A Matisse d’abord, avec le pianiste McCoy Tyner. Son trio, augmenté du guitariste Bill Frisell, accueillait le saxophoniste Gary Bartz venu rendre un hommage à John Coltrane avec qui McCoy a débuté sa carrière. Béret sur la tête, le pianiste a fait la preuve de la subtilité de son touché et de sa richesse harmonique, proposant un set très mélodique et très réussi. Au jardin, c’est un Big Band qui nous attendait. On associe tellement le jazz à l’improvisation qu’on oublie parfois qu’il peut s’agir aussi d’une musique écrite et arrangée. C’est le cas avec Carla Bley. Elle a toujours l’air d’une petite fille avec ses cheveux paille coupés au carré et fait face à son organiste qu’on pourrait prendre pour sa sœur jumelle. A son piano ou debout, elle dirige un orchestre de 16 musiciens dont 13 cuivres en suivant à la lettre ses partitions. Elle présente en français les différentes parties de cette œuvre qu’elle a écrite en hommage aux big bands des années 50. Son écriture musicale est très précise et très évocatrice, voire cinématographique. Un mouvement semble même avoir été écrit pour illustrer un nouvel épisode de La panthère rose! Car il y a aussi de l’humour chez Carla Bley : des sons bizarres joués par certains instruments aux interventions parlées ou mimées des musiciens, tout est spectacle. L’improvisation non plus n’est pas oubliée comme dans ce duel de trompettes qui reste l’un des grands moments du concert. La pièce s’intitulait : Appearing Nightly. Hier soir, l’apparition de cette grande dame a conquis le public.
En rejoignant la scène Matisse, on ne se doutait pas que Jake Shimabukuro allait nous donner la claque de la soirée. Tee-shirt et casquette kakis sur un jean et des Converse, le gamin d’Hawaï n’en laissait pourtant rien paraître. D’autant que, seul sur scène, il jouait de son … ukulélé. Et pourtant, il a bluffé tout le monde! Commençant par un titre de style flamenco, il explique ensuite comment il est passé du ukulélé traditionnel (qu’il a commencé à 4 ans) à la musique pop en l’illustrant par quelques notes de Sunshine of your love. Il reprend en effet In my life des Beatles puis When my guitar gently weeps de son idole de jeunesse George Harrison mais nous livre aussi ses propres compositions. A chacun de ses morceaux, Shimabukuro fait preuve d’une variété infinie de techniques de jeu, les maîtrisant toutes avec une dextérité époustouflante : mélodie, rythmique, percussion, il semble pouvoir tout jouer et mélanger à volonté. Et quand il nous apprend qu’il est ravi de jouer pour la première fois en France, de découvrir la Méditerranée ou d’être accueilli dans ce festival où tout le monde se demandait qu’il il était, il est simplement touchant de candeur. Finalement, on lui apprend qu’il lui reste dix minutes pour un rappel que le public lui réclame à corps et à cris. Alors il se rassoie, se concentre et nous livre sa version de l’Ave Maria de Schubert comme l’aurait interprété un musicien classique. Au-dessus de Cimiez, le temps suspend son vol et la magie opère. Shimabukuro aurait-il pris des cours avec Harry Potter? Le public entier est envoûté et le laisse repartir sous une ovation plus que méritée. Promis, désormais je ne me moquerai plus des joueurs de ukulélé!
On quitte presque à regret la scène Matisse mais les premières notes du Jardin nous prouvent que la magie ne va pas s’estomper. La voix et les accords de guitare de James Taylor provoquent immédiatement un effet de bien-être indéfinissable. L’un des vrais talents est de pouvoir être immédiatement identifiable et James Taylor possède ce talent-là. Sur ses propres titres comme sur les reprises car James Taylor est venu présenter un disque de reprises. Mais sa reprise la plus célèbre est celle du titre de Carole King : You’ve got a friend. Faisant l’effort de présenter chaque chanson en français, Taylor explique qu’à chaque fois qu’elle est là, il accueille sa femme sur scène pour l’accompagner dans les chœurs. Sur You’ve got a friend, il la fait donc monter sur scène. Tout en chantant, ils s’échangent des regards d’une tendresse infinie et les couples s’enlacent plus fort sur la pelouse : rarement le Jardin aura vibré d’autant d’amour. Les oliviers s’en souviendront longtemps. Mais c’est ailleurs que James Taylor surprend. Accompagné de quatre musiciens dont Michael Landau à la guitare et de trois choristes présents selon les titres, il excelle aussi dans des titres plus rapides et même percutants. Dans la deuxième partie du concert, il se lance par exemple dans un blues déjanté en se prenant … pour De Niro! Les chansons douces et plus rapides alternent et il est déjà minuit et quart. Qu’importe : s’excusant d’avoir déjà trop joué, James Taylor se lance dans un Golden moments endiablé : « No one’s gonna stop me now ». Le public bat des mains, le public chante, le public danse. James Taylor s’en va-t-il? Non, il revient pour un dernier message d’amour : « How sweet it is to be loved by you ». Mais oui James, on t’aime. Et des soirées comme celle-là, on en voudrait toute la vie.
Nice Jazz Festival : ce soir, programmation éclectique avec entre autres Richard Galliano, Maxime Le Forestier ou … Julien Doré! Et ma chronique à suivre.