Pura Fé porte la voix des indiens d’Amérique
Découverte du Nice Jazz Festival 2006, Pura Fé montre par son chant que le blues est né aussi bien chez les esclaves noirs que dans les réserves indiennes.
Dans l’après-midi de son concert, Pura Fé donnait un mini-concert en s’accompagnant seule d’une guitare lap steel, une guitare acoustique jouée en slide posée sur ses genoux. Elle nous a livré avec conviction trois chansons tirées de son dernier album enregistré avec le label américain Music Maker, spécialisé dans la promotion de bluesmen inconnus.
Votre musique est nourrie d’influences indiennes. Avez-vous découvert cette musique dans votre enfance?
J’ai grandi dans une famille où il y avait toutes sortes de musique mais pas tellement la musique de chez moi car je n’ai pas grandi en Caroline du Nord mais à New York. A New York, on peut entendre de tout. J’ai été en contact avec la musique des Big Bands car ma mère chantait dans l’orchestre de Duke Ellington quand j’étais jeune et j’ai voyagé avec elle. Elle était aussi chanteuse d’opéra. C’est avec la communauté indienne de New York que j’ai commencé à connaître la culture traditionnelle mais quand je suis allée en Caroline du Nord, dans la famille de ma mère, j’ai découvert que tous ces chants traditionnels sonnaient comme du blues.
A quelle tribu appartenait la famille de votre mère?
Les indiens Tuscarora. La région d’où je viens compte 40 000 indiens qui sont tous mêlés de sang noir, écossais, irlandais. Ce sont des paysans pour la plupart et tout le monde chante et joue d’un instrument. C’est du blues, du bluegrass, de la musique religieuse, toujours avec ce rythme « shuffle ». Quelques-uns gardent encore la « long house » qui est une forme de gouvernement traditionnel. Ma grand-mère nous a expliqué comment elle chantait quand elle était jeune et je me suis intéressée aux chants et aux danses des cérémonies traditionnelles. J’ai chanté dans un film sur Jim Pepper qui était un grand ami à moi. Il parlait tout le temps de comment la musique native du sud-est des Etats-Unis avait contribué à la naissance du blues. Beaucoup de gens disent que c’est de la musique africaine mais sur mon album j’ai invité des personnes de chez moi à chanter pour démontrer l’influence des indiens.
Jimmy Hendrix avait des origines indiennes mais il est donc loin d’être le seul musicien noir dans ce cas?
Oui, il y en a eu dans tous les Etats-Unis : Don Cherry et Thelonius Monk avaient aussi des origines Tuscarora. Et Leena Horn, Duke Ellington, Charlie Patton, Horace Silver, Charles Mingus parlaient tous de leur grand-mère indienne! (rires) Ca vient du fait que les indiens étaient les premiers esclaves aux Etats-Unis et ils ont fait partie du commerce triangulaire avec l’Afrique et la Caraïbe. Ma tribu était aussi impliquée dans la contrebande d’esclaves de chaque côté de la frontière avec le Canada. Ce sont des histoires qu’on ne lit pas mais qu’on entend dans les communautés.
Et vous avez aussi des origines corses?
Oui les grands-parents paternels de mon père étaient corses. Mon père est décédé l’an dernier. Il chantait aussi mais je n’ai pas été élevée avec lui. Il était de Porto Rico où il y a beaucoup de descendants d’émigrés corses. Quand j’ai rencontré mon père il y a 7 ans, on est allé en avion à Campi où il y avait un festival de chanteurs a capella. On est allé à la rencontre des paysans de sa famille. Ils ont dit à mon père qu’il avait l’air corse mais pas moi! (rires) Ce n’est pas grave, ça ne m’embête pas!
« Tous les chants traditionnels indiens sonnent comme du blues »
Votre dernier album est sorti cette année. C’est votre premier disque solo?
Oui, c’est vraiment ma première création personnelle qui ne contient que des nouvelles chansons à part une vieille chanson de James Mc Bride. Mais mon premier disque était un album plus jazzy, R’n’B qu’on a fait avec James Mc Bride. Et j’étais dans un groupe appelé Ulali où l’on était trois chanteuses d’origine indienne a capella. On a chanté avec beaucoup d’artistes dont Robbie Robertson et les Indigo Girls. Mais je vais bientôt refaire un autre disque en solo.
Comment êtes-vous venu à la guitare lap steel?
En fait, j’ai appris à en jouer par moi-même. Beaucoup d’hommes de chez moi jouaient sur leur lap mais ils jouaient plus du bluegrass, du blues. Je les ai regardé jouer mais c’est seulement quand j’ai découvert Kelly Joe Phelps lors d’une séance d’enregistrement que j’ai eu envie d’acheter la même guitare. Finalement, il n’y a que deux ans et demi que j’ai vraiment commencé à en jouer. Puis je suis allé voir les gens de Music Maker pour faire un album.
C’est donc vous qui êtes allé vers eux?
Oui j’avais entendu parler d’eux par mon professeur Will Fairs qui étudie les cultures du Sud. Il a enquêté sur tout ce que je lui ai raconté et ils ont commencé à creuser l’histoire des connexions entre les noirs et les indiens et comment les indiens ont influencé toute la culture du Sud. Ca a ouvert une toute nouvelle voie.
« Les indigènes sont en première ligne pour la défense des ressources naturelles »
Quand vous chantez, vous avez l’air très concentrée. Pensez-vous à quelque chose de particulier à ce moment-là?
Il ne faut pas que je pense trop sinon ça ne marchera pas mais ça fait peu de temps que je joue donc je dois rester concentrée sur la guitare. J’aimerais pouvoir laisser le chant couler mais c’est dur. Quand je ne joue pas, c’est différent, je chante vraiment mieux.
A la fin de la dernière chanson, vous avez d’ailleurs laissé la guitare et une autre voix est sortie de vous …
Mes ancêtres! (rires)
C’est ce que tout le monde a vu, c’était impressionnant! Sur scène, jouez-vous toujours en solo ou avez-vous un groupe?
Je joue surtout en solo mais aujourd’hui je vais jouer avec un batteur et un bassiste de Music Maker. Chez moi, à Seattle, j’ai un très proche collaborateur qui s’appelle Danny Gordinez. C’est l’un des meilleurs guitaristes et auteurs-compositeurs-interprètes de Seattle. On écrit ensemble et je vais jouer avec ses musiciens. Donc je reviendrai avec lui. En fait, je serai à Franckfort début août avec Danny et j’espère qu’en 2007 j’aurai un groupe au complet.
Quel est le message que vous voulez faire passer dans vos chansons ?
Il y en a beaucoup, environnementaux ou universaux comme le danger du réchauffement climatique. J’ai vraiment envie de parler des indigènes. Ils sont en première ligne pour la défense des ressources naturelles contre les gouvernements. 80% des ressources naturelles mondiales sont sur des territoires occupés par les indigènes. Et on essaie de les chasser pour exploiter ces ressources.
Sur scène vous parlez aussi du Ku Klux Klan qui a tué la tante de votre mère.
C’est très courant et aujourd’hui encore ils continuent à faire beaucoup de bruit dans le Sud, à brûler des croix etc. Je pense que c’est en train d’empirer. Depuis que le président Bush est en place, il s’est trompé sur tout et il a tout gâché. C’est écoeurant. Il y a aussi le fait qu’on ait séparé tous les peuples indigènes du continent américain. D’un point de vue indigène, on était là avant et on nous a mis des étiquettes : indiens, mexicains, sud-américains mais de l’autre côté de la frontière, les gens sont les mêmes. On faisait du commerce, on se battait, on s’aimait depuis des milliers d’années et on peut retrouver la trace de nos liens. Mais petit à petit, les gens oublient ça, y compris les indigènes et c’est un de mes messages : il faut se lever et se rappeler sa langue, son histoire, ses mythes. Nous sommes tous reliés les uns aux autres et il faut se battre pour ses droits et arrêter de se laisser imposer des choses qui ne fonctionnent pas.
Cet espoir est porté par votre nom, Pura Fé, qui signifie « pure foi » en espagnol.
Oui c’est un nom que m’a donné mon père. Une de ses sœurs qui portait ce nom est morte et il me l’a donné : c’est un sort! (rires)
Espérons qu’il vous porte chance! Merci Pura Fé.
Propos recueillis et traduits par Eric_M
Pura Fé, site officiel
Music Maker Relief Foundation
Tuscarora Nation Blues distribué par Dixiefrog