Suzanne Vega, de la femme à l’artiste
Nouvelle rencontre du Nice Jazz Festival 2006, Suzanne Vega est aussi discrète qu’on l’imagine. Mais très déterminée, elle va au bout des choses.
A quelques heures de son concert aux Arènes de Cimiez, elle nous reçoit, très élégante dans sa robe longue, sur une terrasse qui surplombe la Baie des Anges. Si elle n’était tellement associée à sa ville de New York, son allure très droite et son humour en coin la feraient passer pour anglaise.
Etes-vous heureuse de venir ici à Nice?
Oui. J’ai déjà joué à Nice au moins deux fois. J’aime le climat et la mer. On a eu une journée de repos hier et j’ai eu la chance de me détendre, de faire un bon repas, d’avoir un café au lait ce matin. Et c’est toujours chaleureux quand je viens.
Pensez-vous qu’il y ait une différence entre le public américain et le public français?
Oui, beaucoup. Le public français, il faut aller le chercher mais quand vous le tenez, c’est pour longtemps. Le public américain est plus changeant : un été il vous aime, l’été suivant ils ne vous aiment plus. Le public français a plus de mémoire.
Que pensez-vous du site des Arènes?
C’est un lieu magnifique. Bien entendu nous n’avons rien de pareil aux Etats-Unis puisque tout y est trop moderne. C’est une scène à l’atmosphère sensationnelle et unique.
Quel est votre rapport personnel au jazz?
J’en écoutais en grandissant. Mon père passait à la maison du cool jazz californien comme Dave Brubeck, beaucoup de brésiliens, Astrud Gilberto, Joao Gilberto, Jobim et bien sûr Miles Davis et tout le jazz classique. Mais j’écoutais aussi d’autres types de musique : folk, rock ‘n roll, Motown …
Est-ce que des chanteurs français et belges comme Edith Piaf ou Jacques Brel vous ont influencés?
Ca a dû m’imprégner car dans mon école, on faisait une scène où les gens jouaient beaucoup de Jacques Brel. En tout cas, je serais fière d’avoir été influencée par Jacques Brel. Je suppose qu’il faudra que je meure pour savoir ça! (rires) Qui peut savoir ce qu’on dira?
Pour votre prochain album, vous avez signé avec Blue Note qui est un label jazz.
C’était un label uniquement jazz mais quand j’ai signé avec eux, ils ne m’ont pas dit : « maintenant vous allez faire un album jazz ». Depuis le succès de Norah Jones, ils veulent étendre leur label. Sur leur carte de visite, ils écrivent : « Blue Note, Jazz and Classics ». Je suppose que je suis dans la catégorie « Classics » qu’ils définissent comme de la pop sophistiquée. Je suis très contente de travailler avec eux, ils me soutiennent beaucoup. J’ai écrit de nouvelles chansons au printemps dont ils ont écouté les démos. Ils ont été très excités par la musique et ils cherchent déjà un réalisateur pour le disque.
« J’ai l’impression d’être une vraie personne qui vit une vraie vie »
Vous ne semblez pas très attirée par la vie de star.
J’ai du succès depuis les années 80 mais par dessus tout, j’aime écrire des chansons et composer. Le succès a ses bons et ses mauvais côtés. Le bon côté, c’est cette excitation qui tient tout le monde quand vous en avez. Le mauvais, c’est que vous êtes souvent critiquée et que des gens deviennent incontrôlables. Mais j’ai l’impression d’être une vraie personne qui vit une vraie vie, spécialement depuis que j’ai une fille. A New York, il n’y a rien de tel qu’un enfant pour garder les pieds sur terre. Depuis 12 ans, elle est ma priorité, je prends plus de temps pour faire des albums, je joue surtout l’été, pendant qu’elle est en vacances. Je trouve un équilibre.
Avant ça, y a-t-il eu une période où vous vous être vraiment prise pour une star?
Oui, il y a eu deux mois en 1987! (rires) Je me suis dit : « je suis une star, je peux faire tout ce qui me plaît! » J’ai fait du shopping , j’ai acheté un appartement, j’ai dépensé l’argent à tort et à travers et rapidement j’ai compris que ça n’était pas la vraie vie.
Diriez-vous que votre dernier album, Songs in red and gray, est un retour au style acoustique de vos débuts?
C’est effectivement la réputation de ce disque mais je ne suis pas d’accord. Si vous l’écoutez en entier, vous verrez qu’il ne s’agit pas juste de prendre la guitare et de chanter de la pop music. Vous y trouverez plusieurs styles, de l’électronique, des remixes etc. A chaque fois que je fais un album, c’est un mélange entre la guitare acoustique et la technologie du moment. En 1984, quand les synthétiseurs sont apparus, je les ai utilisés. Si vous écoutez le premier album, il y a des effets de distorsion sur la guitare de la première chanson, Cracking. Donc il y a toujours eu cette intention de mixer la folk avec les technologies modernes.
« Tom’s diner et Luka sont mes passeports pour le monde »
Cet apport de l’électronique a été flagrant sur Tom’s Diner.
Oui, ce remix de DNA a montré à tous que c’était possible. Vous savez que je ne leur ai pas demandé de le faire, ils l’ont fait de leur côté.
Comment avez-vous réagi quand vous l’avez découvert?
J’ai trouvé ça très drôle et j’ai beaucoup aimé. J’étais contente qu’ils n’aient pas touché à la chanson. Ca a eu du succès dans les clubs et, à ma grande surprise, c’est passé d’un public restreint à un public énorme. Mon manager n’était pas content parce qu’ils avaient violé les lois du copyright. Il voulait les poursuivre mais c’était juste deux gars qui avaient fait ça chez eux, ils n’avaient pas d’argent. J’ai dit qu’il valait mieux racheter les droits pour sortir le titre et c’est ce qu’on a fait.
Et est-ce que vous touchez encore des droits dessus?
Oui et plutôt bien en fait! (rires) Jamais je n’aurais imaginé ce qui allait suivre en écrivant ce titre. Jusqu’à maintenant, on continue de me faire écouter des remixes de cette chanson. Il y a environ 35 remixes dont un par Danger Mouth qui est sur mon site internet. Certains sont plus anciens comme celui de Tupac qui est décédé il y a 10 ans. Je dis oui à tout sauf une fois où c’était un projet pornographique. Je n’ai pas demandé ce que c’était mais j’ai dit non immédiatement! (rires)
En parlant de vos tubes, il y a la chanson Luka . Je pense qu’en France la plupart des gens ne savent pas qu’elle parle d’un enfant maltraité. En avez-vous conscience et comment trouvez-vous cela?
Une chanson peut avoir du succès même si on ne comprend pas les paroles : on peut aimer le son, la voix ou la langue… Même en Amérique, beaucoup de gens ne savent pas de quoi il s’agit, ils n’écoutent pas les paroles tout simplement. Je ne les juge pas.
Mais vous avez écrit des textes qui n’étaient pas des chansons. Etait-ce pour mettre votre écriture en avant ou pour lui laisser plus d’espace?
Pour avoir plus d’espace, je pense, car à chaque fois que j’ai une idée et qu’il faut la faire rentrer dans une chanson, c’est comme la faire rentrer dans une boîte. Il y a des choses qui ne rentrent pas et c’est pourquoi j’aime écrire dans d’autres formats.
Une dernière question à propos de ces deux tubes: en avez-vous parfois assez de les jouer?
De temps en temps, je me dis que les ai beaucoup chantés mais l’excitation que ressent le public quand je les joue efface tout. Pourquoi je les priverais de ça? Quand je vais voir un chanteur, j’aime bien entendre des nouveautés mais j’ai envie d’entendre ses tubes. Donc je n’arrêterai jamais de les jouer. Et je leur suis reconnaissante des portes que ces deux chansons m’ont ouvertes. Elles sont mon passeport pour le monde.
« J’aimerais chanter en français mais on m’a dit d’arrêter! »
Quels sont les auteurs de chansons que vous admirez le plus?
Il y en a beaucoup. J’aime Paul Simon, Bob Dylan, Elvis Costello, Crowded House, Pete Seger. Il y a aussi une jeune femme que je trouve très intéressante, Laura Veirs et un auteur-compositeur danois Tim Christensen qui écrit de très belles chansons. Et puis ma fille est musicienne, elle joue de la basse et un peu de claviers. Elle a son ordinateur dans la salle à manger et si elle aime une chanson, je peux l’entendre 200 fois. Généralement, elle passe du R’n’B, du hip hop ou du rap comme Eminem, Beyoncé ou Usher. Et il m’arrive de trouver certaines choses intéressantes.
Tracy Chapman était à Jazz à Juan cette semaine et on vous compare souvent : deux femmes qui chantent du folk à la guitare. Est-ce que vous pensez que la comparaison est fondée ou trop facile?
Je pense qu’on est deux personnalités très différentes. Comme vous l’avez dit, il est évident qu’on raconte toutes les deux des chansons à la guitare mais je pense que c’est un peu trop facile. Je me sens plus proche de quelqu’un comme Laurie Anderson.
Laurie Anderson est plus expérimentale, non?
Quand je fais un disque, je mets ce qui m’amuse, ce qui m’intéresse moi. Mais je n’aime pas ce qui est trop expérimental et n’aura aucun public. Laurie Anderson a un esprit très intéressant et un vrai sens de la technologie que je ne maîtrise pas. J’aime travailler avec un producteur qui peut amener d’autres vibrations à une chanson. Mais mon instrument c’est vraiment la guitare acoustique. Je suis une artiste avec un stylo. On fait beaucoup de choses avec un stylo.
Je ne sais pas si je peux vous le dire mais j’aimerais vous féliciter pour votre mariage!
Vous pouvez le dire et ça me fait très plaisir d’être félicitée. (ndlr: Suzanne Vega s’est mariée le 11 février 2006)
Votre mari a étudié le français je crois. Est-ce que cela vous donne envie de chanter en français?
Il a en effet gagné un prix de français à l’université de Columbia. C’est une langue qu’il aime et qu’il parle très bien. J’aimerais chanter en français mais on m’a dit d’arrêter! (rires) On avait traduit une des chansons de l’album 99.9F° et je l’ai chantée en français avec un coach. A la fin de la journée, le producteur est venu et m’a dit : « on ne peut pas sortir ça, tu es trop mauvaise! » Alors je suis désolée mais j’ai essayé et je n’y arrive pas. C’est une langue que je comprends et je la respecte trop pour lui faire ça!
Savez-vous quand sortira le prochain album?
Oui ce sera l’année prochaine, en juin ou septembre 2007. Et je reviendrai!
Merci Suzanne Vega!
Propos recueillis et traduits par Eric_M
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