Avec le temps… « 40 000 ans de musique »
« La musique, c’est l’expression de l’âme mise en forme par l’intelligence », a déclaré un jour John Mac Laughlin, le fameux guitariste jazz.
L’odeur de sacré pointant le bout du nez dans sa formule révèle un musicien conscient des origines de la musique, faite pour les dieux, comme de l’immense héritage qu’il détient.
Jacques Chailley, explorateur expérimenté du fleuve des sons depuis ses sources, dans « 40000 ans de musique », aurait sans doute pu ajouter cette définition en exergue de son livre.
Mais ce n’est pas vraiment le cas pour la plupart d’entre nous. Nous sommes immergés dans le présent, forcément persuadés que les remous du fleuve sont plus ou moins fixes tandis que l’univers musical d’hier, si différent, si lointain et si vague, a justement disparu.
Il n’en est rien, et Jacques Chailley le prouve abondamment. C’est un passionnant éclairage, nous rappelant un tumultueux et surprenant passé, nous montrant le fil qui nous relie à lui et ébranlant nos petites certitudes.
En musicologue averti, à l’abondante production, il développe son propos en deux mouvements mêlés. D’une part, il démontre que les morceaux ne naissent pas seulement dans la solitude d’une cervelle géniale, mais que la culture d’une époque, les innovations techniques et l’état de l’économie sont déterminantes dans l’apparition de « Blue Suede Shoes », « Carmen » ou « Messe pour le temps Présent ».
D’autre part, dans cette inter-action permanente entre la musique et le corps social, s’insère, selon lui, une « course accélérée vers l’individualisme », celle du musicien progressivement maître de sa création. Celle de la musique aussi, passant peu à peu du sacré au profane, de la célébration au divertissement.
Les valeurs, telle que la foi, apparaissent déterminantes dans la lente évolution de la musique. Dans une société dominée par la croyance, qu’elle soit primitive, antique ou moyenâgeuse, la musique ne peut que solennellement glorifier le divin. Le musicien doit alors accepter de n’être que le « passeur » anonyme exprimant la conviction collective.
Il faut attendre le déclin du sacré et la chute des puissants, avec la Révolution notamment, pour que la musique devienne plus terrestre. Alors l’amour, la guerre et la gloire s’invitent dans les notes. Le musicien peut évoquer le vécu, préliminaire à l’expression de ses sentiments personnels.
Le souterrain travail de l’économie contribue aussi avec force à l’évolution musicale. Quand il est serviteur de Dieu ou des dieux, le musicien l’est également de ses maîtres, l’Église ou le Prince, au plan matériel. Une dépendance, un statut mineur qui bride sa liberté musicale et ses compositions.
La montée des classes moyennes, l’affaiblissement des monarchies et des pouvoirs de tous ordres, la demande de distraction, puis de consommation lui donnent progressivement l’indépendance. La musique devient alors art, le musicien artiste. Libre d’exprimer son talent propre et de le monnayer, il rencontre un vaste et nouvel auditoire, presque contemporain : le public.
L’impulsion fournie par la technique, enfin, s’avère également déterminante. La limitation des registres musicaux, l’absence de notation musicale élaborée et la faible variété d’instruments à disposition conduisent le musicien à répéter la tradition pendant fort longtemps. Grâce à des inventions majeures comme le code musical écrit, la composition et de multiples instruments tels que le piano et le violon, la musique s’émancipe. Ce sont aussi des innovations plus mineures qui la font avancer, comme le piston pour les cuivres ou la baguette du chef d’orchestre. Une suite ininterrompue qui l’a radicalement transformée, pour lui donner une expressivité presque sans limite aujourd’hui. La musique peut ainsi déployer toutes ses finesses et rencontrer chacun, avec l’énorme progrès corrélatif dans le domaine de la diffusion.
Cette évolution musicale toujours en cours, Jacques Chailley la retrace avec finesse et érudition. L’ouvrage se lit pourtant comme une passionnante aventure, où les anecdotes et les traits d’humour ne manquent pas, ni les grandes figures, dans leur saisissant vécu de musiciens. Chacun trouvera, avec cette réflexion rééditée, matière à s’étonner, s’interroger et, peut-être, aller voir de plus près une histoire de la musique avec les musiciens, les courants musicaux et les instruments qu’il aime. A moins qu’il ne choisisse d’aller vraiment se baigner avec cette jeune femme de 40000 ans. Bien vivante.
Cet article a été rédigé pour le site Sincever par le rédacteur Ave
j’ai eu le privilège d’avoir eté à un de leurs concerts c’etait
grandiose!pourquoi n’ont-ils pas tenu bon pour faire parler d’eux encore et encore ? toutes les bonnes choses ont une fin surtout en algerie!quel dommage !